10 novembre 2022 : Fin de vie : les médecins peuvent écarter les directives anticipées, selon le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution des dispositions législatives relatives aux conditions dans lesquelles un médecin est susceptible d’écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 août 2022 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique (CSP).

L’article L. 1111-11 du CSP prévoit que toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées relatives à sa fin de vie, qui s’imposent en principe au médecin, pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux. Or, le troisième alinéa de cet article permet au médecin d’écarter ces directives anticipées notamment lorsqu’elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient.

Le Conseil constitutionnel confirme que les médecins peuvent aller à l’encontre des directives anticipées concernant la fin de vie transmises par un patient, lorsque celui-ci est dans un état grave, jugé désespéré, par une décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022.

I. Le contexte des lois bioéthiques

La loi n° 2021-1017 relative à la bioéthique s’inscrit dans le cadre juridique français de la bioéthique dans le prolongement des trois lois de juillet 1994 (n° 94-548 du 1er juillet 1994, 94-653 et 94-654 du 29 juillet 1994), de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique du 6 août 2004 et de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

Les lois de bioéthique de 1994 ont affirmé les principes généraux de protection de la personne humaine et, en particulier, en matière d’assistance médicale à la procréation. Ces lois de bioéthique ont été révisées en 2004 en interdisant notamment le clonage, reproductif ou thérapeutique, la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires, par principe, tout en autorisant, par dérogation, les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires, pour une période limitée à cinq ans si elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs. À cette occasion, a été créée une Agence de la biomédecine. Le réexamen de cette loi de bioéthique de 2004, prévu par le Parlement dans un délai de cinq ans, a abouti à la loi de bioéthique de 2011 qui a donné une nouvelle définition des modalités et les critères permettant d’autoriser les techniques d’assistance médicale à la procréation ainsi que d’encadrer leur amélioration. L’article 47 de cette même loi prévoit un nouvel examen d’ensemble par le Parlement dans un délai maximal de sept ans après son entrée en vigueur, ce qui donne lieu à ce projet de loi présenté en Conseil des ministres le 24 juillet 2019.

Le réexamen périodique des lois de bioéthique est imposé par le législateur français et logiquement rendu nécessaire par l’évolution de la science, du droit et de la société.

II. Les directives anticipées

A. L’origine des directives anticipées

L’article 7 de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », a inséré dans le CSP un article L. 1111-11 ainsi rédigé : « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment. À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant. Un décret en Conseil d’État définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. ».

Le décret n° 2006-119 du 6 février 2006 relatif aux directives anticipées prévues par la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et modifiant le Code de la santé publique (dispositions réglementaires) a complété le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du CSP d’une section 2 intitulée « Expression de la volonté relative à la fin de vie » comprenant les articles R. 1111-17 à R. 1111-20. L’article R. 1111-17 a défini les directives anticipées mentionnées à l’article L. 1111-11 du CSP comme un document écrit, daté et signé par leur auteur dûment identifié par l’indication de ses nom, prénom, date et lieu de naissance. Toutefois lorsque l’auteur de ces directives, bien qu’en état d’exprimer sa volonté, est dans l’impossibilité d’écrire et de signer lui-même le document, il peut demander à deux témoins, dont la personne de confiance lorsqu’elle est désignée en application de l’article L. 1111-6 du même code, d’attester que le document qu’il n’a pu rédiger lui-même est l’expression de sa volonté libre et éclairée. Ces témoins indiquent leur nom et qualité et leur attestation est jointe aux directives anticipées. Le médecin peut, à la demande du patient, faire figurer en annexe de ces directives, au moment de leur insertion dans le dossier de ce dernier, une attestation constatant qu’il est en état d’exprimer librement sa volonté et qu’il lui a délivré toutes informations appropriées.

Le décret n° 2016-1066 du 3 août 2016 modifiant le Code de déontologie médicale et relatif aux procédures collégiales et au recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès prévus par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a fixé les conditions dans lesquelles le médecin peut refuser l’application des directives anticipées du patient, lorsqu’elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, en créant quatre articles après l’article R. 4127-37 du CSP, à savoir les articles R. 4127-37-1 à R. 4127-37-4.

L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique a modifié le dernier alinéa de l’article L. 1111-11 du CSP en remplaçant les mots : « tutelle, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du Code civil, » par : « protection juridique avec représentation relative à la personne, » et « Le tuteur » par « La personne chargée de la mesure de protection ».

B. L’expression de la volonté des malades refusant un traitement et de malades en fin de vie

En droit positif, elle est définie aux articles L. 1111-11 et L. 1111-12 du CSP.

L’article L. 1111-11 du CSP prévoit notamment que toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté et que ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux. Les directives anticipées sont révisables et révocables à tout moment et par tout moyen et peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu a été modifié par l’article 2 du décret n° 2021-684 du 28 mai 2021 relatif au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique et codifié à l’article R. 1111-18 du CSP. Ledit modèle est annexé à l’arrêté du 3 août 2016 relatif au modèle de directives anticipées prévu à l’article L. 1111-11 du CSP et comporte deux versions prévoyant deux situations : celle des personnes ayant une maladie grave ou qui sont en fin de vie au moment où elles rédigent leurs directives anticipées et celle des personnes qui pensent être en bonne santé au moment où elles les rédigent.

Le troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du CSP, objet de la QPC en question du Conseil constitutionnel, prévoit que les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.

Les modalités de conservation des directives anticipées sont précisées à l’article R. 1111-18 du CSP et l’article R. 1111-17 détermine qu’en présence de plusieurs écrits, répondant aux conditions de validité, le document le plus récent qui l’emporte.

La décision de refus d’application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches.

L’article L. 1111-12 du CSP prévoit que, lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation de s’enquérir de l’expression de la volonté exprimée par le patient. En l’absence de directives anticipées mentionnées à l’article L. 1111-11 du même code, il recueille le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches.

C. Question parlementaire écrite récente relative aux directives anticipées

Par une question écrite n° 38277, publiée au JO de l’Assemblée nationale du 20 avril 2021, p. 3423, M. Pierre Vatin, député, attire l’attention du ministre des solidarités et de la santé sur les directives anticipées (DA). Instaurées par la loi Léonetti (2005) et renforcées par la loi Claeys-Léonetti (2016), les DA permettent à toute personne majeure d’exprimer, par écrit, ses volontés sur sa fin de vie et de désigner une personne de confiance. Si le patient n’est plus en mesure de s’exprimer, les médecins s’appuient sur ce document pour prendre leurs décisions sur les traitements et actes médicaux à engager, limiter ou arrêter. Or, 11 % des Français de plus de 50 ans ont rédigé leurs DA et 51 % excluent de le faire. Parmi les premiers, 71 % l’ont fait sur papier libre, 9 % ont utilisé le modèle du ministère de la Santé et 15 % sur un autre modèle (institut BVA pour le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie – CNSPFV, 6 février 2021). En l’absence de DA, la prise en charge d’un patient peut être plus compliquée et aller à l’encontre des souhaits de ce dernier. La crise de la covid-19 a, par exemple, mis en exergue un manque important desdites directives. De surcroît, la loi n’impose aucune obligation pour la conservation des DA. C’est pourquoi il lui demande les mesures qu’il entend prendre pour évaluer le dispositif des DA, uniformiser leur rédaction, inciter les Français à rédiger les leurs et améliorer le mode d’accès à ces dernières afin de permettre au personnel soignant d’y avoir accès plus facilement et aux compatriotes de les mettre à jour régulièrement.

Par une réponse, publiée au JO de l’Assemblée nationale du 13 juillet 2021, p. 5601, le ministère des Solidarités et de la Santé a répondu que la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 a conforté la place de la volonté du patient dans le processus décisionnel et a amélioré l’accès et l’utilisation des directives anticipées (DA). Désormais ces directives anticipées s’imposent au médecin et restent valables tant que leur auteur n’en décide pas autrement. Elles sont révisables et révocables à tout moment. Les DA sont peu utilisées par nos concitoyens. Ceci est notamment lié à une méconnaissance du dispositif, à la difficulté de se confronter à la question de la fin de vie ou encore à l’absence d’interlocuteurs susceptibles d’aider à l’expression de certains choix sur des sujets techniques. La démarche de rédaction des directives anticipées n’est pas une obligation. Elle est cependant à encourager afin de permettre à toutes les personnes de s’exprimer sur les conditions de fin de vie qu’elles souhaitent voir être mises en œuvre. Les directives anticipées peuvent être conservées dans le dossier médical partagé (DMP). Ce dépôt vaut inscription au registre national mentionné à l’article L. 1111-11 du CSP. Le dispositif DMP répond à des conditions de sécurité des données et d’accessibilité tant pour la personne elle-même, qui doit pouvoir modifier ou annuler ses DA à tout moment, que pour les médecins qui doivent s’y conformer. Un modèle de formulaire élaboré par la Haute autorité de santé est par ailleurs disponible librement, pour aider à la réflexion et à l’élaboration de l’expression de sa volonté pour sa fin de vie. Il est aussi possible d’écrire les DA sur papier libre ou sur n’importe quel modèle. Les DA peuvent être également confiées à la personne de confiance désignée par le patient, au médecin traitant et dans le dossier hospitalier ou le dossier de soins en établissement médico-social. Dès le 1er janvier 2022, la création automatique d’un espace numérique de santé pour tous les usagers de notre système de santé [a entraîné] automatiquement la création d’un DMP ou l’intégration du DMP déjà ouvert. Des outils sont également mis à disposition du public et des professionnels sur le site du Centre national de soins palliatifs et de la fin de vie https://www.parlons-fin-de-vie.fr. Enfin, une feuille de route pour le déploiement des soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie est en cours d’élaboration. Des mesures autour du renouvellement d’une campagne de communication sur les dispositifs des DA et de la personne de confiance, de l’accompagnement à l’écriture des DA et de l’amélioration de la traçabilité des DA sont envisagées. Le ministère chargé de la santé est attentif à la poursuite et au développement de la culture palliative afin de permettre aux malades et à leurs familles qui les accompagnent de bénéficier de ces droits.

III. Le corpus juridique permettant à un médecin d’écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie et dignité de la personne humaine

A. La décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022

Il était notamment reproché au troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du CSP de permettre à un médecin d’écarter les directives anticipées par lesquelles un patient a exprimé sa volonté que soient poursuivis des traitements le maintenant en vie. Les requérantes, rejointes par l’association intervenante, faisaient valoir que, en permettant au médecin de prendre une telle décision lorsque les directives lui apparaissent « manifestement inappropriées ou non conformes » à la situation médicale du patient, ces dispositions n’étaient pas entourées de garanties suffisantes dès lors que ces termes étaient imprécis et conféraient au médecin une marge d’appréciation trop importante, alors qu’il prend sa décision seul et sans être soumis à un délai de réflexion préalable. Il en résultait, selon elles, une méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, dont aurait découlé le droit au respect de la vie humaine, ainsi que de la liberté personnelle et de la liberté de conscience.

À cette occasion, le Conseil constitutionnel a rappelé, d’une part, que le Préambule de la Constitution de 1946 réaffirme que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle. D’autre part, la liberté personnelle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, de déterminer les conditions dans lesquelles la poursuite ou l’arrêt des traitements d’une personne en fin de vie peuvent être décidés, dans le respect de ces exigences constitutionnelles.

Le Conseil constitutionnel a relevé, en premier lieu, que, en permettant au médecin d’écarter des directives anticipées, le législateur a estimé que ces dernières ne pouvaient s’imposer en toutes circonstances, dès lors qu’elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d’exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ce faisant, il a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie. À cet égard, le Conseil a rappelé qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement et qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles un médecin peut écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie hors d’état d’exprimer sa volonté dès lors que ces conditions ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif poursuivi.

En deuxième lieu, les dispositions contestées ne permettent au médecin d’écarter les directives anticipées que si elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient. Ces dispositions ne sont ni imprécises ni ambiguës.

En troisième lieu, la décision du médecin ne peut être prise qu’à l’issue d’une procédure collégiale destinée à l’éclairer. Elle est inscrite au dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches.

En quatrième et dernier lieu, la décision du médecin est soumise, le cas échéant, au contrôle du juge. Dans le cas où est prise une décision de limiter ou d’arrêter un traitement de maintien en vie au titre du refus de l’obstination déraisonnable, cette décision est notifiée dans des conditions permettant à la personne de confiance ou, à défaut, à sa famille ou à ses proches, d’exercer un recours en temps utile. Ce recours est par ailleurs examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée.

Au final, le Conseil constitutionnel déduit que le législateur n’a méconnu ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ni la liberté personnelle et considère également que les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus la liberté de conscience ni le principe d’égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, et les juge conformes à la Constitution.

B. Le respect de la dignité de la personne humaine

Malgré son caractère fondamental et universel, la dignité humaine ne figure pas en tant que telle dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH), sauf en préambule du protocole n° 13, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, qui évoque la dignité inhérente à tous les êtres humains.

La Cour de Strasbourg a clairement affirmé que la dignité de l’homme était, avec la liberté, l’essence même de la Convention EDH dans sa décision n° 28957/95 du 11 juillet 2002, C. c/ Royaume-Uni.

La Cour de justice des Communautés européennes a, pour sa part, considéré que la dignité humaine constitue un principe général du droit communautaire dans l’affaire C-377/98, point 70, du 9 octobre 2001, Royaume des Pays-Bas c/ Parlement et conseil.

La dignité de la personne humaine n’est pas consacrée explicitement par la Constitution du 4 octobre 1958 ou par les textes auxquels renvoie son Préambule. La seule occurrence du terme « dignité » figure à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, qui impose que tous les citoyens soient admissibles aux dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. La « dignité » renvoie ici à la « qualité de membre d’un ordre civil ou militaire ».

C’est dans sa décision « Bioéthique » du 27 juillet 1994 que le Conseil constitutionnel a déduit le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation de la première phrase du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi rédigée : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Dans la jurisprudence constitutionnelle, le principe de dignité de la personne humaine a trouvé à s’appliquer notamment en matière de bioéthique, d’interruption volontaire de grossesse (IVG), d’arrêt des traitements de maintien en vie, d’hospitalisation sans consentement, de droit pénal ou de procédure pénale voire de privation de liberté.

Pour le Conseil d’État, le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public (CE, ass., 27 octobre 1995, n° 136727, Commune de Morsang-sur-Orge) et il en a également fait un principe juridique invocable par les particuliers.

Enfin, l’article 16 du Code civil, créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, dispose que la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Par ailleurs, l’article 16-1-1 du même code dispose que les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence.

IV. Corpus juridique de référence

– Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine dite Convention d’Oviedo (Espagne) adoptée le 4 avril 1997 et entrée en vigueur le 1er avril 2012

– Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, Unesco, 11 nov. 1997

– Déclaration internationale sur les données génétiques humaines, Unesco, 16 oct. 2003

– Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, Unesco, 19 oct. 2005

– CEDH, 29 avr. 2002, n° 2346/02, P. c. Royaume-Uni (imposition d’un traitement médical sans le consentement du patient)

– CEDH, 11 juill. 2002, n° 28957/95, § 90, C. c/ Royaume-Uni (dignité de l’homme)

– CEDH, 20 janv. 2011, n° 31322/07, H. c. Suisse (suicide assisté)

– CEDH, gr. ch., 5 juin 2015, n° 46043/14, L. et autres c. France (droit à mourir dans la dignité)

– CEDH, 19 juill. 2012, n° 497/09, K. c. Allemagne (suicide assisté)

– CEDH, 23 janv. 2018, n° 1828/18, A. et B. c. France (droit à mourir dans la dignité pour un mineur)

– CJCE, 9 oct. 2001, C-377/98, Royaume des Pays-Bas c/ Parlement et conseil (point 70 : il appartient à la Cour, dans son contrôle de la conformité des actes des institutions aux principes généraux du droit communautaire, de veiller au respect du droit fondamental à la dignité humaine et à l’intégrité de la personne)

– Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, art. 6

– Cons. const., 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal

– Cons. const., 29 juill. 2004, n° 2004-498 DC, Loi relative à la bioéthique

– Cons. const., 1er août 2013, n° 2013-674 DC, Loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juill. 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

– Cons. const., 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté)

– Cons. const., 29 juill. 2021, n° 2021-821 DC, Loi relative à la bioéthique

– Cons. const., 8 juill. 2022, n° 2022-1003 QPC, Association Groupe d’information et d’action sur les questions procréatives et sexuelles (le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’article L. 2141-2 du CSP, dans sa rédaction résultant de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, ouvrant l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples formés d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ainsi qu’aux femmes non mariées)

– Cons. const., 10 nov. 2022, n° 2022-1022 QPC, Mme Zohra M. et autres (refus du médecin d’appliquer des directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient)

–  Code de la santé publique (CSP)

– Code civil

– Loi n° 94-548 du 1er juill. 1994 relative au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janv. 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

– Loi n° 94-653 du 29 juill. 1994 relative au respect du corps humain

– Loi n° 94-654 du 29 juill. 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal

– Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

– Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique du 6 août 2004

– Loi n° 2005-370 du 22 avr. 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti »

– Loi n° 2011-814 du 7 juill. 2011 relative à la bioéthique

– Loi n° 2016-87 du 2 févr. 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti »

– Loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique

– Loi n° 2021-1576 du 6 déc. 2021 visant à nommer les enfants nés sans vie

– Loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 qui vise à renforcer le droit à l’avortement

CE, Ass., 27 oct. 1995, n° 136727, Commune de Morsang-sur-Orge

– CE, CHR, 17 avr. 2019, n° 420468, M. et Mme C.

– CE, ass. gén., avis, 18 juill. 2019, n° 397993, Projet de loi relatif à la bioéthique

V. Exemple de sujet avec son corrigé portant sur le thème de la fin de vie

Sujet : La dignité dans la fin de vie

Introduction

Accroche : Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution des dispositions législatives relatives aux conditions dans lesquelles un médecin est susceptible d’écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie par une décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022.

Définition : La dignité de la personne humaine n’est pas consacrée explicitement par la Constitution du 4 octobre 1958 ou par les textes auxquels renvoie son Préambule. Le Conseil constitutionnel français a érigé en principe à valeur constitutionnelle la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation à partir du Préambule de de la Constitution de 1946. Pour le Conseil d’État, le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public.

Intérêt du sujet : Le droit de mourir dans la dignité existe en droit positif mais demeure d’une portée limitée.

Annonce du plan

I. L’existence d’un droit à la dignité dans la mort

Annonce des deux sous-parties

A) La possible reconnaissance d’un droit à mourir dignement

– CEDH, 29 avr. 2002, n° 2346/02, P. c. Royaume-Uni (imposition d’un traitement médical sans le consentement du patient)

– CEDH, 20 janv. 2011, n° 31322/07, H. c. Suisse (suicide assisté)

– CEDH, gr. ch., 5 juin 2015, n° 46043/14, L. et autres c. France (droit à mourir dans la dignité)

– CEDH, 23 janv. 2018, n° 1828/18, A. et B. c. France (droit à mourir dans la dignité pour un mineur)

– Cons. const., 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté)

B) La consécration législative du droit de mourir dignement

– Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (CSP, art. L. 1110-5 et L. 1111-4)

– Loi n° 2005-370 du 22 avr. 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti »

– Loi n° 2016-87 du 2 févr. 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti » qui instaure le droit à l’arrêt des soins vitaux (CSP, art. L. 1110-5-2 et L. 1110-5-2)

Transition : Toutefois, le droit à mourir dignement ne comprend pas l’aspect positif qui le transformerait en droit d’être tué dès lors que seule le « droit créance » à la vie dans la dignité existe ou le droit d’être apaisé jusqu’à la mort.

II. L’absence d’un droit à la dignité par la mort

Annonce des deux sous-parties

A) Les manifestations de l’absence de droit à la dignité par la mort

– CSP, art. L. 1110-5-1 : droit de s’opposer au « maintien artificiel de la vie »

– Si le droit à la sédation profonde est reconnu, toutefois, c’est seulement un droit à la sédation « jusqu’au décès » et non pas « en vue du décès »

– CSP, art. L. 1110-5-3 al. 2 : l’abrégement de la vie est présenté comme un effet secondaire

B) La légitimité de l’absence de droit à la dignité par la mort

– CEDH, 29 avr. 2002, n° 2346/02, P. c. Royaume-Uni : la CEDH considère qu’il n’est pas possible de déduire de l’article 2 de la Convention EDH un droit à mourir, que ce soit de la main d’un tiers ou avec l’assistance d’une autorité publique

– CEDH, 30 sept. 2014, n° 67810/10, G. c. Suisse : la CEDH exige que le droit pénal des États parties indique avec suffisamment de clarté si le « suicide assisté » est punissable ou pas

– CEDH, 20 janv. 2011, n° 31322/07, H. c. Suisse : le droit à la dignité par la mort peut être accordé dans le respect de l’article 2 de la Convention EDH, mais n’a pas nécessairement à l’être dès lors que la marge d’appréciation des États est donc considérable dans ce domaine. En revanche, si un tel droit est accordé par une législation nationale, il doit l’être de manière effective, c’est-à-dire être mis en œuvre dans le respect des procédures afférentes (CEDH, 19 juill. 2012, n° 497/09, K. c. Allemagne (suicide assisté))

Conclusion

Synthèse : Si un droit à la dignité dans la mort se constate effectivement, le droit à la mort par dignité n’apparaît pas véritablement se manifester.

Ouvertures possibles :

– Le débat sur l’euthanasie passive ou active

– Le « droit à mourir dans la dignité », prochaine grande réforme du second quinquennat du président Macron

– Le respect de la dignité de la personne humaine des personnes détenues ou retenues

– Dignité de la personne humaine et personnes en situation de handicap

VI. Exemples de questions sur le thème de la fin de vie

– Quelle est la valeur juridique du principe de dignité de la personne humaine ?

– Qu’est-ce que des directives anticipées en matière de fin de vie ?

– Qu’est-ce qu’une personne de confiance ?

– Des directives anticipées qui ne seraient pas rédigées sur le modèle mentionné à l’article L. 1111-11 du CSP sont-elles valables ?

– Qu’est-ce que la bioéthique ?

– Qu’est-ce que le droit bioéthique ?

– Faites-nous un bref rappel historique des lois fondatrices de la bioéthique en droit français.

– À votre avis, qu’est-ce qui rend nécessaire la révision régulière des lois de bioéthique en droit français ?

– Quelle est la périodicité du nouvel examen de la loi de bioéthique par le Parlement ?

– Quelles sont les spécificités des lois de bioéthique en France ?

– Quelles sont les questions posées aujourd’hui dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique en France ?

– Qu’est-ce que prévoyait le projet de loi relatif à la bioéthique déposé par le gouvernement en juillet 2019 en matière de procréation médicalement assistée ?

– Sur quels points du projet de loi relatif à la bioéthique a porté l’avis consultatif rendu par le Conseil d’État le 18 juillet 2019, à la demande du gouvernement ?

– Que pensez-vous de l’avis consultatif rendu par le Conseil d’État le 18 juillet 2019 sur le projet de loi relatif à la bioéthique à la demande du gouvernement ?

– Pourquoi la gestation pour autrui demeure-t-elle interdite dans la loi relative à la bioéthique ?

– Quels sont les nouveaux droits accordés par la loi relative à la bioéthique aux enfants nés de dons de sperme ou de gamètes ?

– Quelle est l’innovation de la loi relative à la bioéthique en matière de filiation des enfants nés d’une procréation médicalement assistée dans un couple de femmes ?

– La prise en charge par la solidarité nationale de l’accès à l’assistance médicale à la procréation des couples de femmes et des femmes non mariées a été évaluée à combien par an par l’étude d’impact du gouvernement ? Elle représente quelle part du coût total actuel de l’assistance médicale à la procréation ?

– La France a-t-elle ratifié la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine dite Convention d’Oviedo (Espagne), adoptée le 4 avril 1997 ?

– Quelles sont les réserves émises par la France lors de la ratification de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine ?

– Quelles sont les principales évolutions du projet de loi relatif à la bioéthique adopté en dernière lecture par l’Assemblée nationale, le 29 juin 2021 ?

– Dans son contrôle de certaines dispositions de la loi relative à la bioéthique, le Conseil constitutionnel a-t-il confirmé l’interdiction légale des pratiques eugéniques ?

– Quels sont les apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti » ?

– Quels sont les apports de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti » ?

– Quels sont les apports de la loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 qui vise à renforcer le droit à l’avortement ?

– Que représente pour vous le « droit à mourir dans la dignité » ?

– Quelle différence entre l’euthanasie active et l’euthanasie passive ?