2 octobre 2024 : Focus portant sur le contrôle du juge sur l’application en France des décisions de justice étrangères en matière de GPA
À retenir :
Par une première décision de la première chambre civile, en formation de section, n° 22-20883, du 2 octobre 2024, la Cour de cassation a jugé qu’est contraire à la conception française de l’ordre public international de procédure la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante et qu’il incombe au demandeur de produire ces documents. Elle a précisé que, lorsqu’il est demandé l’exequatur d’une décision établissant la filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger, l’existence d’une motivation s’apprécie au regard, d’une part, des risques de vulnérabilité des parties à la convention de gestation pour autrui et des dangers inhérents à ces pratiques et, d’autre part, du droit de l’enfant et de l’ensemble des personnes impliquées au respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’intérêt supérieur de l’enfant, protégé par l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, constituant une considération primordiale.
En conséquence, le juge de l’exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d’équivalent qui lui sont fournis, d’identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d’autrui et de s’assurer qu’il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux.
Par une seconde décision de la première chambre civile, en formation de section, n° 23-50002 du 2 octobre 2024, la Cour de cassation a jugé que lorsque, sans prononcer d’adoption, un jugement étranger établissant la filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui est revêtu de l’exequatur, cette filiation est reconnue en tant que telle en France et produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets. En conséquence, viole l’article 509 du Code de procédure civile la cour d’appel qui, après avoir constaté qu’un jugement de première instance, avait, par une disposition non frappée d’appel, déclaré exécutoire sur le territoire français une décision étrangère instituant une filiation entre les demandeurs et un enfant à naître d’une gestation pour autrui, décide que cette décision produira les effets d’une adoption plénière.
Pour rappel :
En France, la gestation pour autrui (GPA) est interdite et pour contourner cette interdiction des personnes y ont recours en se rendant dans des pays qui l’autorisent. L’acte de naissance délivré par ces pays établit la filiation à l’égard des parents d’intention conformément à la loi locale. À leur retour sur le territoire français, les parents d’intention qui souhaitent que leur enfant bénéficie d’un acte de l’état civil français peuvent avoir recours à différentes procédures, à savoir : transcription directe de l’acte étranger sur les registres de l’état civil français, adoption ou exequatur. Cette dernière est une procédure judiciaire qui peut conduire la France à reconnaître et exécuter une décision de justice étrangère, après que le juge français a procédé à un certain nombre de vérifications. Pour accorder l’exequatur, le juge français doit effectuer plusieurs vérifications. Il doit, en particulier, contrôler que la décision étrangère ne révèle pas l’existence d’une fraude et n’est pas contraire à l’ordre public international français, apprécié au regard des principes fondamentaux du droit, en précisant que ce contrôle doit toutefois rester limité dès lors qu’il ne doit pas rejuger l’affaire.
Dans la première affaire, la Cour de cassation était interrogée sur le contrôle que le juge français doit exercer lorsqu’il lui est demandé l’exequatur d’une décision de justice étrangère qui établit la filiation d’un enfant né d’une GPA faite à l’étranger et se posait plus particulièrement la question du degré de motivation attendu d’un jugement étranger. En réponse, la Cour de cassation a précisé que, pour être reconnu en France et permettre ainsi à l’enfant d’obtenir un acte de l’état civil français, un jugement étranger établissant une filiation sur le fondement d’un contrat de GPA doit avoir été rendu par un juge compétent, ne pas avoir été obtenu par fraude et respecter l’ordre public français en matière internationale.
Dans la seconde affaire, la Cour de cassation était interrogée sur les effets d’une adoption plénière en France d’une décision de justice étrangère, ayant bénéficié de l’exequatur, qui déclare que des parents d’intention sont les parents légaux d’un enfant né d’une GPA faite à l’étranger. En réponse, la Cour de cassation a précisé que la filiation doit être reconnue par la France dans le respect de la spécificité de la filiation construite par le droit étranger.
Pour approfondir :
Dans la 6e édition papier de l’ouvrage Un an d’actualités des libertés et droits fondamentaux :
→ Cf. la fiche intitulée : « 8 mars 2024 : Loi constitutionnelle relative à la liberté de recourir à l’IVG »
→ Cf. : « Une personne physique, abandonnée à sa naissance et adoptée, peut-elle demander aux autorités que lui soit communiquée l’identité de sa mère biologique ayant accouché anonymement ? » ; « La pratique de la réception d’ovocytes de la partenaire est-elle autorisée en France ? » ; « Quid de la conservation de gamètes recueillis en vue d’une AMP lorsque la personne atteint un âge ne lui permettant plus d’y recourir ? » dans le Pêle-mêle de questions-réponses