27 septembre 2024 : Focus portant sur l’interdiction du port de tenues de type abaya à l’école

À retenir :

Par une décision nos 487944, 487974, 489177 du 27 septembre 2024, Association La voix lycéenne et autres, le Conseil d’État a jugé que le ministre de l’éducation nationale a pu légalement interdire, à la rentrée scolaire de 2023, le port de tenues de type abaya par les élèves dans les établissements scolaires publics au regard du comportement des élèves portant ces tenues, utilisées dans une logique d’affirmation religieuse, et du fait que le port de telles tenues pouvait être considéré comme une manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, interdite par la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, codifiée à l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation. Il a ainsi jugé qu’à la date de publication de la note de service contestée, le port de tenues de type abaya par les élèves dans les établissements d’enseignement publics pouvait être regardé comme manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, et comme étant dès lors interdit par la loi du 15 mars 2004. En conséquence, le Conseil d’État a rejeté la demande d’annulation de la note de service interdisant le port de tenues de type abaya dans les établissements d’enseignement publics.

À cette occasion, le Conseil d’État a rappelé que le Préambule de la Constitution française de 1946, confirmé par celui de la Constitution française du 4 octobre 1958, proclame que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État » et que l’article 1er de la loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics, en précisant, de nouveau, que cet article interdit ainsi les signes ou les tenues dont le port manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, soit par lui-même, soit en raison du comportement de l’élève.

Il a également constaté que les signalements d’atteintes à la laïcité à l’école ont sensiblement augmenté en passant de 2 167 à 2 226 puis à 4 710 signalements effectués, à ce titre, au cours des années scolaires 2020-2021, 2021-2022 et 2022-2023. Par ailleurs, 1 984 d’entre eux, contre 148 en 2020-2021 et 617 en 2021-2022, concernaient le port de signes ou de tenues susceptibles d’être interdits par la loi du 15 mars 2004 et majoritairement le port de tenues de type abaya. Il relève, enfin, que le port de ces tenues s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse, le dialogue entre les établissements et les élèves concernées ayant fait apparaître qu’il s’accompagne d’un discours stéréotypé, inspiré d’argumentaires diffusés sur les réseaux sociaux et élaborés pour contourner l’interdiction inscrite dans la loi.

Pour rappel :

Le juge des référés du Conseil d’État s’était précédemment prononcé, à deux reprises, sur ce sujet en septembre 2023.

Par une première ordonnance n° 487891 du 7 septembre 2023, Association Action droits des musulmans, le juge des référés du Conseil d’État, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, a rejeté, en l’état de l’instruction, le « référé-liberté » contre l’interdiction du port de l’abaya à l’école en estimant que l’interdiction du port de ces vêtements ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Par une seconde ordonnance nos 487896 et 487975 du 25 septembre 2023, Association La Voix lycéenne et autres, le juge des référés du Conseil d’État, saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, a rejeté, en l’état de l’instruction, le « référé-suspension » contre l’interdiction du port de l’abaya à l’école par une ordonnance, en estimant qu’il n’existe pas de doute sérieux sur la légalité de l’interdiction décidée par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, le 31 août 2023. Le juge des référés du Conseil d’État était cette fois-ci saisi selon la procédure de « référé-suspension », qui subordonne la suspension d’un acte administratif à deux conditions : une situation d’urgence et l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de cet acte. Après cette décision « provisoire », le Conseil d’État a rendu la décision définitive citée précédemment (« au fond ») (CE, CHR, 27 sept. 2024, n° 487944, Association La voix lycéenne et autres).

Pour approfondir :

Dans la 6e édition papier de l’ouvrage Un an d’actualités des libertés et droits fondamentaux :

→ Cf. la fiche intitulée : « 10 avril 2024 : Le juge des référés du Conseil d’État examine la dénomination des steaks et jambons végétaux »

→ Cf. : « Un maire peut-il interdire le port de tenues manifestant de façon ostensible une appartenance religieuse sur les plages de sa commune ? » ; « Le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse est-il autorisé à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées par la FFF ? » ; « Est-il possible de porter l’abaya dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics ? » ; « Une administration publique peut-elle interdire le port visible, sur le lieu de travail, de tout signe révélant des convictions philosophiques ou religieuses ? » dans le Pêle-mêle de questions-réponses